Jean Gosset (1912-1944)

La mort des partis politiques

La mort des partis politiques - Septembre 1940

La mort des partis politiques

Elle va permettre une résurrection des idées et des hommes

par Jean Gosset, Le Républicain Orléanais et du Centre, 1er septembre 1940 

Maintenant que les partis, en France du moins, sont pratiquement à peu près supprimés, on peut espérer qu’une grande confusion va cesser : celle qui derrière chaque thèse, chaque idée, chaque projet, ne voyait que l’arrière-pensée ; on se demandait ce que l’idée pouvait bien menacer, ce qu’elle pouvait cacher. 
On n’acceptait de lui donner une sens net et certain qu’une fois connue l’adhésion politique, religieuse ou sociale de celui qui l’émettait ; et on l’adoptait ou on l’écartait, on s’y intéressait ou on s’en méfiait, suivant cette adhésion et non pas suivant le contenu de l’idée elle-même.
Tout était ainsi vicié par deux confusions fondamentales.
La première consistait en ce que chaque doctrine – par exemple politique, mais pas exclusivement – tendait à s’accompagner d’une véritable philosophie complète, impliquant toute une manière de vivre et de comprendre le monde ; on ne pouvait plus être partisan ou adversaire du « code de la famille », par exemple, sans avoir du même coup des idées déterminées et contraires sur la loi de 40 heures, la représentation proportionnelle, l’existence de Dieu, les accords de Munich, la personnalité du président Roosevelt et celle du général Franco, le style de M. André Gide, le contrôle des changes, les tarifs douaniers et la peinture du douanier Rousseau, la place de l’éducation physique à l’école et la physique de M. Langevin. Une attitude sur chacune de ces questions n’avait plus de sens que par la position qu’elle représentait à propos d’autres problèmes ; on l’a bien vu quand certains, qui s’étaient détournés avec horreur du Voyage au bout de la Nuit, se sont mis à apprécier L.-F. Céline et même son premier livre après la publication de Mea Culpa ou de Bagatelle pour un massacre ;
quand tels partisans de la dévaluation l’ont combattue parce que leurs adversaires politiques l’avaient faite.
La seconde confusion complétait d’autant mieux la première qu’elle lui était en quelque sorte opposée ; elle consistait en ce que chaque doctrine a cherché, à partir d’un certain moment, à accaparer tout ce qu’il y avait de positif dans les autres. Bien des partis « de droite » se sont déclarés favorables à des réformes sociales hardies, et les communistes ont voulu monopoliser le patriotisme. Ainsi, alors qu’on essayait surtout de deviner vers quelle doctrine conduisait chaque idée, il devenait impossible de le savoir. La réflexion, toujours méfiante et entravée, se débattait en vain parmi ces multiples appels, si souvent ambigus. Jamais une idée n’était envisagée en elle-même, indépendamment des étiquettes parasites et volontiers contradictoires qui collaient à elle. On entendait en pleine Chambre M. Louis Marin dire qu’il ne voterait jamais une loi pour laquelle voteraient les communistes : leur appui suffisait à l’assurer qu’elle était nuisible.
Or voici que depuis près d’un an le parti communiste – un de ceux autour duquel s’accumulaient le plus de mélanges et de fausses associations d’idées – a disparu de la vie publique en France.
Le bruit a couru après l’armistice de la suppression de tous les partis ; et si cette mesure n’a pas été prise, il semble que ce soit par simple sagesse : tous les partis étaient pratiquement brisés par la guerre et la défaite, et leur dissolution officielle n’aurait pu que les porter à se reconstituer sous une forme différente, que leur rendre une apparence d’énergie en les opprimant. Les partis ne paraissent plus avoir aucun rôle positif dans la vie du pays. On dissout les sociétés secrètes qui avaient une influence sur les opinions. En somme voici les Français libérés soudain de toute adhésion. Ils se retrouvent fidèles à l’idée de leur unité nationale, mais sans organismes détenteurs de doctrines pour assembler leurs idées et guider leur action. Est-ce un isolement nuisible et débilitant ?
Bien au contraire, non seulement disparaissent ainsi certaines des divisions qui troublaient notre peuple et que nulle propagande ne doit réussir à faire renaître sous aucune forme, mais la reconstruction nécessaire doit pouvoir se réaliser avec moins d’entraves. Nous devrions pouvoir maintenant regarder en face les idées et les projets, examiner chaque initiative, chaque inspiration, en elle-même et sans arrière-pensée. Même si l’expression est soumise à des règles plus ou moins strictes, que du moins la réflexion ne soit plus paralysée par l’incertitude et l’ambiguïté de chaque affirmation. Les circonstances rendront peut-être les réalisations difficiles ; essayons du moins de tenter celles-ci en les voulant franchement, résolument, et les mener aussi loin que le permettront nos moyens.
Pour que ce soit possible, il faut cependant un considérable effort sur soi-même : on ne rompt pas en un jour avec tant de préjugés.
Il faut que chaque idée, chaque action, soit appréciée en elle-même, indépendamment du parti ou de la religion qu’a pu vouloir servir, peut-être, son auteur ; que chaque volonté soit estimée pour ce qu’elle apporte et non pour ce qu’on croit apercevoir derrière elle. 
Ainsi avec les pensées les êtres reprendront leur valeur, jugée sur leurs vraies actions et non sur les erreurs ou les fautes d’autres membres de leur secte. Et cette résurrection des idées pourrait bien s’accompagner, si nous savons le vouloir, d’une résurrection des hommes.

Jean Gosset, Le Républicain Orléanais et du Centre, 1er septembre 1940 

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