Jean Gosset (1912-1944)

Notes sur ma classe

Cahier Marcelle Bernard 1906-1909
Marcelle Bernard au jour le jour
Il y a quelques années, Danielle Rioul-Gosset a déposé à l’APA une brochure des écrits sauvegardés de la mère de Jean Gosset. Nous reproduisons ici ses textes dans leur intégralité
Avant-propos

Je n’ai pas connu Marcelle Bernard, ma grand-mère paternelle. Je sais peu de choses d’elle. Je sais seulement qu’elle est passée par une Ecole Normale et qu’elle aimait passionnément son métier d’institutrice, avec une prédilection pour les classes des quartiers déshérités, comme on le verra.
Née en 1885 à Paris, j’ignore de quel milieu elle était issue et même de quelle région sa famille était originaire. Son journal nous apprend qu’elle a enseigné à Bagnolet, puis à Fontenay et à Montreuil, trois communes de la banlieue est de Paris. C’est à Montreuil qu’elle a épousé mon grand-père Henri Gosset en 1911 et qu’ils ont habité avant de s’installer plus tard à Paris, boulevard de Ménilmontant. Ils ont eu deux fils, en 1912 et 1915. L’aîné était mon père.

J’ai connu mon grand-père, mais je ne me rappelle pas qu’il m’ait jamais parlé de ma grand-mère. Il était alors remarié, assez âgé et dépendant. J’avais une dizaine d’années lors de sa mort. Son deuxième fils, mon oncle Lucien, était mort lui aussi, de maladie, à 17 ans. Quant à mon père, mort pendant la guerre, je l’ai très peu connu. La seule personne qui m’ait un peu parlé de cette grand-mère dans mon enfance, est ma mère, mais seulement par ouï-dire : n’ayant rencontré mon père qu’en 1933, elle n’a pas connu sa belle-mère.

Pas de témoignage direct donc, sauf plus tard, en 1982, par une amie d’enfance de mon père qui, à ma demande, a évoqué dans des lettres les souvenirs qu’elle avait de ma famille paternelle : sa mère, institutrice, était très liée avec ma grand-mère. Elles s’étaient connues à l’école primaire (à Paris), avaient fait leurs études ensemble et étaient restées amies toute leur vie. Cette amie décrit ma grand-mère comme « très jolie (les photos que j’ai d’elle l’attestent), gracieuse, gaie, sachant tout faire, ayant beaucoup de goût, arrangeant très bien son intérieur avec des moyens limités et faisant tout pour ses fils ».

La vie de ma grand-mère s’est terminée tragiquement. Cette femme très réfléchie a commis une imprudence fatale

A l’automne 1929, poursuit cette amie, en novembre, je crois, Jean est arrivé à la maison pour annoncer que sa mère était dans une clinique du côté de la porte de Saint-Cloud. Il était décomposé et quelque peu essouflé, il avait dû courir tout le long du chemin. Dans ce temps-là nous n’avions le téléphone ni les uns ni les autres. Il nous a raconté ce qui était arrivé. C’était un après-midi, il était là, déjà rentré du lycée, en train de travailler. Sa mère, dans la cuisine, nettoyait des écharpes de soie dans une cuvette d’essence, elle avait oublié que la veilleuse du chauffe-eau à gaz était restée allumée. Tout a pris feu et en plus elle portait un chemisier et des bas de rayonne (qu’on nommait soie artificielle). Jean a tiré une couverture pour l’emballer et éteindre les flammes, puis il est allé appeler les pompiers. Le médecin a donné les premiers soins, Monsieur Gosset est rentré et l’a fait transporter à la clinique. On a su tout de suite qu’il y avait peu d’espoir : elle était brûlée très profondément sur une grande surface du corps… Elle a souffert horriblement, à la fin on ne lui changeait plus ses pansements pour lui éviter des tortures inutiles. Maman allait la voir, c’était tellement bouleversant qu’elle n’a pas voulu que j’y aille. A la fin on la droguait beaucoup et je crois qu’on évitait que ses fils la voient. Ce cauchemar a duré à peu près trois semaines.

Elle est morte dans les premiers jours de 1930, elle n’avait pas 45 ans. Tout ce qui me reste d’elle est un cahier de moleskine à la couverture abîmée, où elle a noté, voici presque un siècle, ses impressions et réflexions sur sa classe et son métier d’institutrice.

Ce cahier présente l’aspect d’un journal : il contient d’abord des notes brèves et un peu décousues, puis des réflexions plus approfondies sur tel ou tel aspect de son métier. Cela occupe les premières pages du cahier. Plus loin est consignée une sorte d’étude de cas, portant simplement comme titre le nom et l’âge d’une élève.
Dans la mesure où les indications de date me le permettaient, j’ai retranscrit tous ces éléments dans l’ordre chronologique.
A la fin du cahier, en commençant à la dernière page et en le lisant à rebours, on trouve quelques pages de « perles » relevées dans les devoirs d’élèves, un bêtisier en quelque sorte. Puis ont été soigneusement collés sur deux pages du cahier, trois articles découpés dans des numéros d’une revue mensuelle intitulée Revue de Médecine et de Chirurgie féminines. Le premier, du numéro d’avril 1907, est intitulé L’Hygiène à l’école, le deuxième, La suggestion à l’Ecole, et le dernier, L’Education des Dégénérés. Les deux premiers sont signés des initiales B.M. (Ma grand-mère signant M.B. plusieurs écrits de ce cahier, cela me laisse perplexe, mais je ne peux en tirer de conclusion…).
Après cela, on trouve un sujet de narration « donné au 1er concours des Auxiliaires » et que ma grand-mère a traité en six pages, puis un développement (une profession de foi si j’ose dire) de quatre pages sur L’Ecole sans Dieu, et un conte intitulé Chimère.
Glissés dans le cahier, sur des feuilles volantes, on a un autre conte, La Légende des Sapins, et le début d’un troisième, resté inachevé. La signature et quelques ratures montrent que ces textes sont bien de ma grand-mère. J’ai reproduit le tout, sans faire de tri, à l’exception des coupures de journaux.
La personnalité qui apparaît dans ces quelques pages méritait bien ce petit hommage, m’a-t-il semblé, et d’être ~ le temps de cette lecture ~ sauvée de l’oubli.
Danielle Rioul-Gosset

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